Jeudi 26 juillet 4 26 /07 /Juil 06:18

- Le pauvre petit il a vraiment pas été gâté par la nature… - Ca, c’est le moins qu’on puisse dire… Mais à ce point-là c’est quand même impressionnant… Je devais avoir quatre ou cinq ans… J’étais en vacances chez grand mère, au bon air, à la campagne… Et, cette année-là, il y avait aussi tante Monique… - En tout cas ça vient pas de notre côté à nous… Dans la famille les hommes ont toujours été généreusement pourvus… C’était pendant la toilette du samedi… Le samedi grand mère faisait chauffer de l’eau dans de grandes bassines et me lavait à fond dans l’un des immenses bacs en ciment de la buanderie… - Avec l’âge ça devrait quand même finir par s’arranger un peu… - Oui, enfin ça !…

 

 

Ce tout premier souvenir est resté longtemps enfoui sous une multitude d’autres… Des tantes qui m’emportaient dans leurs bras et m’étouffaient de baisers… - Le pauvre petit !… Perdre sa maman !… Si jeune !… Si c’est pas malheureux… Une institutrice qui m’avait pris en grippe et ne manquait pas une occasion de me le faire sentir… Une dame qui arrivait sans bruit dans la chambre de papa, à côté, dès que j’étais couché et s’enfuyait tôt le matin avant que je sois levé…

 

 

Tout nu dans ce bac en ciment, ce jour-là, j’ignorais de quoi elles parlaient, mais les regards consternés qu’elles posaient, avec insistance, sur une partie bien précise de mon anatomie me laissaient vaguement soupçonner qu’il y avait, de ce côté-là, quelque chose qui n’allait pas… Oui, mais quoi ?…

 

 

Quand, à sept ans, à la piscine, j’ai eu l’occasion, pour la première fois d’apercevoir deux camarades nus je suis resté stupéfait… Quelles monstruosités ils avaient là entre les jambes !… Je les ai d’abord sincèrement plaints… Les pauvres !… Comme ils devaient en être encombrés !… Mais un doute s’était insinué en moi : j’ai discrètement observé, épié, enquêté et j’ai bien dû finir par me rendre à l’évidence : les autres, tous les autres, étaient - et de très loin - beaucoup mieux nantis que moi… Et je me suis alors employé à dissimuler, le plus souvent avec succès, une particularité dont je soupçonnais vaguement qu’elle m’exposerait, si elle était découverte, à d’interminables moqueries…

 

 

Ce n’était pas trop difficile : je ne fréquentais quasiment personne, je n’étais inscrit à aucune activité d’aucune sorte et revêtir la tenue de sport en gym n’impliquait pas qu’on se déshabille complètement… Restait grand mère, mais grand mère c’était grand mère… De toute façon elle savait et, dès l’instant où j’avais été en âge de me laver tout seul, elle s’était contentée de verser l’eau dans le bac, de m’apporter tout ce qu’il fallait et de superviser de loin…

 

 

J’avais onze ans quand mes cousines Florence et Véronique sont venues pour la première fois passer, elles aussi, leurs vacances chez grand mère… Je m’en étais fait par avance une véritable fête : elles n’avaient que neuf et sept ans, je ne les avais jusque là pratiquement jamais vues, mais j’allais enfin avoir des camarades de jeu… Finies les interminables journées gorgées de soleil passées à me demander ce que j’allais bien pouvoir faire… J’ai très vite  déchanté : je ne les intéressais pas… Elles ne me rejetaient pas, non, pire, elles m’ignoraient… Elles étaient dans leur monde à elles… Toutes les deux… J’étais un intrus qu’il fallait soigneusement tenir à distance… Et j’étais renvoyé à une solitude pire encore que celle que j’avais jusque là connue…

 

 

 Quand, le tout premier samedi, grand mère m’a appelé dans la buanderie, que j’ai trouvé les filles déjà installées dans les bacs, qu’elle m’a fait signe de les y rejoindre je suis tombé des nues : il allait pour moi tellement de soi que nous ferions notre toilette à tour de rôle, elles et moi, que c’était une éventualité que je n’avais même pas envisagée… J’ai timidement suggéré… - Je pourrais peut-être après… Quand elles auront fini… - Parce que tu te figures qu’il va y avoir deux services rien que pour tes beaux yeux… Tu trouves que j’ai pas assez de travail comme ça ?… Elle s’est retournée, s’est essuyé les mains… - De quoi t’as peur ?… Qu’elles en perdent la vue ?… Ca, il y a pas de risque : il y a vraiment pas de quoi… Allez, assez de simagrées !… Dépêche-toi !… Tu me fais perdre mon temps… Et je me suis déshabillé, anéanti…Le samedi suivant aussi… Et celui d’après… Tous les samedis… Jusqu’à la fin…

 

 

C’était quelques mois plus tard… Au mariage du cousin Vincent… La famille au grand complet était réunie et, comme il arrive souvent dans ces occasions-là, vers la fin du repas, l’alcool aidant, il avait commencé à se raconter des histoires… De plus en plus osées… De plus en plus scabreuses… De plus en plus salaces… - Et celle-là vous la connaissez ?… C’est un type qui a une queue minuscule, mais alors là, vraiment minuscule… Florence a claironné… - Comme Gabriel… Tout le monde a éclaté de rire… - Si, c’est vrai, hein, elle est toute petite… Comme ça… Et elle a rapproché son pouce et son index presque à se toucher… - Le reste aussi… Comme ça… Un tout petit o avec les mêmes doigts… On s’est encore esclaffé… Longtemps… - En tout cas elle a pas les yeux dans sa poche cette petiote !…

 

 

Elle n’avait pas les yeux dans sa poche, non !… Elle les y avait de moins en moins l’été suivant… L’année précédente elle ne m’avait jeté que des regards discrets, mouchetés, mais maintenant, toute auréolée des réactions complaisantes et amusées qu’avaient suscitées son petit numéro c’était ouvertement, avec une évidente jubilation, qu’elle poursuivait, pendant la toilette du samedi, l’étude de mon anatomie… Véronique, de son côté, n’était pas en reste… Elles chuchotaient toutes les deux, pouffaient, éclataient parfois franchement de rire… - Allons, les filles, allons !… Mais dès que grand mère avait tourné le dos elles reprenaient de plus belle…

 

 

J’ai profité d’un moment où j’étais seul dans la cuisine avec elle et où il me semblait qu’elle était favorablement disposée à mon égard pour tenter, une nouvelle fois, de l’amadouer… Est-ce que vraiment il ne serait pas possible le samedi que je… ? - Ah, tu vas pas recommencer avec ça !… Je t’ai déjà dit non… C’est toute une organisation… Alors s’il faut tenir compte en plus des caprices des uns et des autres !… Tes cousines, elles font pas tant d’histoires, elles !… Elle a remué le ragoût dans la cocotte avec la grosse cuiller en bois, haussé les épaules… - De toute façon faudra bien que tu t’y fasses… T’es comme ça t’es comme ça… Tu crois qu’on va te ménager à l’armée ?… T’offrir une belle cabine de douche pour toi tout seul ?…

 

 

Elles s’étaient fait des copines avec lesquelles elles allaient se baigner tous les après-midi au bord du lac… Et un jour : - Viens !… - Mais oui, viens !… Au lieu de rester là tout seul comme un con… - Il y a personne là-bas en plus !… Que nous… Et je les ai accompagnées… Pour une fois qu’elles voulaient bien de moi !… Quatre filles, assises en rang d’oignons, m’ont regardé approcher… - Salut !… - Salut !… - Bon, allez !… On se baigne ?… Je me suis éloigné pour enfiler mon maillot… Quand je suis revenu Florence m’a fait signe… - Viens voir là !… - Qu’est-ce qu’il y a ?… - Viens voir, j’te dis !… Plus près… Mais plus près !… De quoi t’as peur ?… J’ai encore fait un pas en avant… Et, d’un seul coup, elle a descendu, à mi-cuisses, un slip de bain que je me suis aussitôt désespérément efforcé de remonter… En vain : elle avait bien assuré sa prise et elle tenait bon… - Vous voyez, les filles !… Vous voyez… Qu’est-ce que je vous disais !… Elles voyaient… Elles regardaient… Elles ne s’en privaient pas… Quand elle a enfin consenti à lâcher, au bout d’un temps qui m’a paru interminable, je me suis reculotté et je me suis enfui… Leurs rires m’ont poursuivi longtemps… Je n’en ai jamais parlé… A personne…

 

 

 

 

Par François - Publié dans : Mémoires d'une toute petite queue
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