Jeudi 8 février 4 08 /02 /Fév 07:33

S O M N I F E R E

 

 

 

J’étais un incorrigible dragueur… Tout m’était bon pourvu que ce soit fendu entre les cuisses… Et je n’en étais pas peu fier… Je tenais un compte scrupuleux  de mes conquêtes… J’avais ma feuille de route : trois filles minimum par semaine… Au dessous j’étais déshonoré… Au-dessus un petit bonus c’était toujours bon à prendre… Inutile de dire qu’à la fac j’étais grillé : il me fallait aller exercer mes talents ailleurs… Sauf… sauf en tout début d’année quand le troupeau désorienté des nouvelles envahissait les couloirs… Un véritable réservoir dans lequel je m’empressais de puiser encore et encore avant que ma réputation n’ait fini par me rattraper…

 

 

Elle était seule à la cafeteria… Elle paraissait attendre quelque chose ou quelqu’un… Une fille d’une beauté!…  Inouie… Invraisemblable… La perfection incarnée… Il me la fallait… Toi, ma petite, je t’aurai… Et ça va pas mettre trois jours… Je me suis approché… Sur la tablette, devant elle, à côté de son Orangina, une édition en anglais de Shakespeare… - Excuse-moi… Tu ferais pas Anglais par hasard ?… Elle a levé sur moi, sans répondre, un regard d’un vert envoûtant… - Non, parce que voilà… je fais un mémoire, en socio, consacré aux étudiants… Il me faut des témoignages… Et j’ai encore personne en Anglais… Alors si t’avais été assez sympa pour répondre à quelques questions… - C’est tout ce que t’as trouvé ?… Tu t’es pas bien forcé… - Hein ?!… Quoi ?!… Mais pas du tout !… Qu’est-ce que tu vas imaginer !… - Bon, ben vas-y alors, je t’écoute… - C’est que… j’ai pas mon dossier avec moi… - Evidemment !… Elle a éclaté de rire et elle m’a planté là…

 

 

J’ai passé la nuit à élaborer un questionnaire qui tienne la route… Qui ait l’air de… Tu vas y avoir droit… Ca… Je peux te dire que tu vas y avoir droit… Et je suis parti à sa recherche, le lendemain matin, d’amphi en amphi, de salle de TP en salle de TP… - Tu peux m’accorder quelques instants ?… Elle pouvait… Elle l’a fait… En réponses brèves, claires, précises sans me quitter un seul instant des yeux… - C’est tout ?… C’est fini ?… - Oui… Oui… Je t’offre un verre ?… - Non… Merci… Au revoir…

 

 

Quelle petite garce !… Quelle petite merdeuse !… Non, mais pour qui elle se prenait ?… Oh, mais elle allait voir… Elle allait y passer à la casserole… Une ramonée comme jamais… Elle y couperait pas… J’ai stratégiquement laissé passer quelques jours et puis je l’ai abordée, un matin, sur le campus… - Tu peux pas me rendre un service ?… J’ai jamais été très doué en Anglais… Et il y a un texte qui me pose problème… J’en ai vraiment besoin en plus !… - Donne !… Elle s’est assise au soleil sur les marches… - C’est où que tu comprends pas ?… Il y avait les deux lignes, là, au milieu, et puis quatre vers la fin… Qu’elle a traduites très vite d’une grosse écriture penchée… - Et voilà !… C’était vraiment pas compliqué… J’ai empoché la feuille… - Merci… C’est très sympa… Parce que, en général, c’est plutôt chacun pour soi ici… On vient aux cours et on s’en va… Le plus vite possible… On cherche pas le contact… A discuter…  A échanger… Rien du tout… - Ah oui ?!… Ca vient peut-être de toi, ça… Parce que moi, j’ai pas ce problème… Pas du tout… Et elle partie rejoindre un groupe de filles de l’autre côté…

 

 

Ca n’allait pas être facile… Non, ça n’allait pas être facile… Mais tant mieux !… Finalement ce n’était pas pour me déplaire… Pour une fois que je rencontrais une vraie résistance… Pour une fois que j’allais devoir me battre pour arriver à mes fins… Le succès final – dont je ne doutais pas – n’en serait que plus délectable… Et je passais des heures et des heures à me représenter, avec gourmandise, le moment où elle serait nue dans mes bras, le moment où, vaincue, elle serait enfin à moi…

 

 

Les autres ne comptaient plus, ne m’intéressaient plus… J’avais remisé mon carnet de conquêtes au fond d’un tiroir… Je l’avais remplacé par un gros cahier rouge qui lui était exclusivement consacré… J’avais amoureusement calligraphié son prénom - Iliona -  sur la couverture… J’y avais recopié son emploi du temps… Répertorié les différents itinéraires qu’elle empruntait… J’y notais, en vrac, tout ce que je parvenais à glaner, de ci de là, à son sujet… Et j’y tenais, au quotidien, le journal des opérations… Qui n’avançaient guère… Tout au plus parvenais-je à lui soutirer quelques mots, de pure convention, quand je la croisais… Elle paraissait n’avoir rien de plus pressé que de m’échapper… J’avais beau déployer des trésors d’ingéniosité, m’efforcer de briller de tous mes feux, rien n’y faisait… Le poisson ne mordait pas à l’hameçon…

 

 

Il ne me restait plus qu’à jouer mon va-tout… Qu’à abattre la carte maîtresse que je n’utilisais qu’en tout dernier recours quand tout le reste avait échoué… Je l’ai attendue, un matin, en bas de chez elle, et je lui ai servi une déclaration passionnée en règle… Je l’aimais… Depuis le premier jour… Depuis le tout premier instant où je l’avais aperçue… Je ne pensais qu’à elle… Tout le temps… Elle hantait mes rêves… Elle… Elle ne m’a pas laissé poursuivre… - Oui, tu veux me tirer, quoi !… Hein ?!… Mais non, pas du tout, c’était pas ça !… Absolument pas… - Tu parles !… Dès le premier jour, moi aussi, je l’ai su…

 

 

Ah, elle voulait jouer à ça !… Eh bien on allait jouer… Ah, elle doutait de ma bonne foi… Eh bien elle allait voir… On allait voir… Et je lui ai écrit… Tous les jours… De longues lettres enflammées dans lesquelles je la suppliais de me laisser l’aimer… Même sans espoir… Même de loin… Je ne demandais rien… Je ne voulais rien… Seulement la voir… Seulement l’entendre rire… Seulement m’enivrer de son parfum au détour d’un couloir… Et là ?… Ils n’étaient pas sincères mes sentiments peut-être?…

 

 

Son attitude à mon égard se modifiait peu à peu, insensiblement, au fil des jours… Quand on se rencontrait – et je faisais en sorte que ce soit souvent, le plus souvent possible – elle s’attardait quelques instants pour discuter avec moi, me gratifiait d’un sourire… C’était bon signe… A l’évidence ma persévérance – c’est du moins ce dont j’étais convaincu – commençait à porter ses fruits… Mais pas question, pour l’instant, de chercher à pousser mes avantages plus loin… Il fallait attendre encore, attendre que le fruit soit mûr, attendre qu’elle se soit convaincue de ma sincérité… Et continuer à lui écrire…

 

 

- Tu m’offres un verre ?… Si je lui offrais un verre ?… Et comment !… Depuis le temps que j’attendais ça !… On s’est assis face à face dans le café le plus proche … - Tu sais combien ça fait ?… - Combien ça fait de quoi ?… - De lettres que tu m’as envoyées… - Pas vraiment, non… - Cent… Tout juste cent… Depuis hier… Tu tiens la distance, il y a pas à dire… - Quand on aime… - Ben voyons !… Encore que… c’est pas complètement faux… Ca l’était… Ca l’est de moins en moins… Ca ne l’est plus… Tes toutes dernières lettres, elles, sont vraiment vraies… Quand on joue avec le feu on finit par se brûler…

 

 

Et… Et oui… Je devais bien me rendre à l’évidence, une évidence que j’avais commencé à soupçonner, mais que j’avais chassée d’un haussement d’épaules… Amoureux, moi, allons donc !… Mais… si !… Et pas qu’un peu !… J’avais fini par me prendre à mon propre piège et à éprouver profondément, intensément, les sentiments que j’avais jusque là simulés…

 

 

 

 

- Bon… Et maintenant ?… - Quoi maintenant ?… Ben, ça changeait complètement la donne, non ?… Oh, pour moi peut-être… Pour elle pas du tout… Enfin, si !… Un peu quand même… - Parce que faut être honnête… C’est toujours agréable de savoir qu’un type il est fou de toi… Qu’il en peut plus… Alors on peut se voir si tu veux… De temps en temps… Aller au ciné ensemble… Se faire une bouffe… Si j’en suis… Quand j’en serai… Mais rêve pas, hein !… Il y aura jamais rien entre nous… D’aucune sorte… Jamais…

 

 

Elle restait quinze jours, parfois plus, sans me faire l’aumône du moindre moment à nous… Et puis… - Tu m’emmènes quelque part ?… - Où ?… - Où tu veux… Choisis… Mais tâche que ça me plaise parce que sinon… Ca ne lui plaisait pas… Rarement… Jamais… Mais j’avais quelques heures de bonheur… Je la voyais… Je l’entendais… Je lui parlais… J’étais douloureusement heureux…

 

 

Elle a appelé un soir vers minuit… - J’arrive pas à dormir… Parle-moi !… Raconte-moi quelque chose… N’importe quoi… Même si je te réponds pas… Je te répondrai pas d’ailleurs… J’ai raconté… J’ai inventé… Je me suis efforcé d’être drôle, subtil, émouvant, captivant… jusqu’à ce que le sommeil me terrasse…

 

 

- A quelle heure ?… Six heures ?… Ah oui ?!… Je sais pas… Je me suis endormie presque tout de suite… Elle me berce ta voix… On fera comme ça maintenant… Tous les soirs… Tu me parleras toute la nuit… Tu seras mon somnifère…

 

 

 

Par François - Publié dans : Servitudes
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