Vendredi 29 septembre 5 29 /09 /Sep 20:50

L A     P E T I T E     V O L E U S E

 

 

 

C’était en CM1… Ce matin-là la maîtresse avait apporté un couple de rats et toute la classe était rassemblée, absorbée, autour de la cage posée sur une table du premier rang… Elle questionnait, expliquait, commentait… Son sac était posé ouvert sur le bureau… D’une petite poche latérale intérieure dépassait le coin d’un gros billet… Personne ne me prêtait la moindre attention… Une impulsion soudaine… incontrôlable… Je l’ai subtilisé, enfoui dans ma poche et j’ai progressivement - insensiblement - dérivé le plus loin possible du bureau…

 

 

L’après-midi elle nous a fait asseoir et nous a d’abord tenus longtemps sous son regard… Sévère… Fermée… - Bon… Il y a un voleur - ou une voleuse - parmi vous… Il - ou elle - sait de quoi je veux parler… Alors j’attends qu’il se dénonce… Le silence… Personne n’a bronché… Mais il y en a deux - un garçon et une fille - qui se sont troublés, ont rougi… - Très bien… Je sais ce qu’il me reste à faire… Et ce sont eux, qui ont été convoqués, à quatre heures, chez le directeur… D’autres aussi ont été soupçonnés, les jours suivants, parce qu’ils avaient fait abondante provision de bonbons chez le père Chanut… Pas moi : le billet je l’avais soigneusement dissimulé sous une latte du plancher de ma chambre… Je ne l’ai dépensé que beaucoup plus tard…

 

 

J’éprouvais un formidable sentiment - exaltant - de puissance… C’était devant trente paires d’yeux que j’avais opéré et personne ne s’était rendu compte de rien… A aucun moment on n’avait seulement imaginé que ce pouvait être moi… Je jubilais… J’avais berné mon monde… Je recommencerais… Quand je voudrais…

 

 

Je n’ai pas cherché l’occasion… J’ai attendu qu’elle se présente… Deux ans… C’était un dimanche matin… A la boulangerie… Il y avait du monde… Je faisais la queue… Une femme en manteau de fourrure avait posé son porte-monnaie sur la vitrine réfrigérée des pâtisseries qu’elle s’est mise à longer, tout du long, pour faire son choix… D’un revers de manche je l’ai fait tomber dans mon cabas… Les gens continuaient à entrer, à sortir… Mon tour… - Deux pains, s’il vous plaît… Un hurlement derrière… - Oh, c’est pas vrai !… Mon porte-monnaie !… Quelqu’un a suggéré… - C’est le jeune chevelu de tout à l’heure… A tous les coups… Elle s’est précipitée sur le trottoir à sa recherche… La boulangère a haussé les épaules… - On laisse pas traîner ses affaires comme ça non plus !

 

 

J’avais réussi… J’avais encore réussi… Et encore une fois on n’y avait vu que du feu… Je suis rentrée… J’avais des ailes… Je suis aussitôt montée m’enfermer dans ma chambre pour examiner tout à loisir mon butin… 437,45 francs… 3 cartes publicitaires… Un minuscule carnet de vaccinations… Deux photos d’identité de petites filles… Une note de courses… Un billet soigneusement plié en quatre rédigé dans une langue inconnue… J’ai éprouvé alors à pénétrer ainsi, par effraction, dans cette existence étrangère d’adulte un plaisir profond, fabuleux, intense, jubilatoire qui ne pouvait se comparer à aucun de ceux que j’avais jusque là éprouvés… Elle ne pouvait rien contre moi… Elle ne savait même pas qui j’étais… Mais moi c’était elle que je m’étais d’une certaine façon appropriée…

 

 

J’étais sans cesse sur le qui-vive… Je ne cherchais jamais à forcer le destin… Non… J’attendais qu’il me fasse signe… Il prenait tout son temps… Moi aussi… J’étais en troisième quand il a bien voulu consentir à se montrer encore une fois généreux… Mes parents avaient tenu à ce que je les accompagne, à mon corps défendant, à la kermesse du curé… Je m’ennuyais ferme… Je venais de les supplier, pour la dixième fois, de rentrer quand… - Un médecin !… Vite !… Un médecin !… Il y a pas un médecin ?… Le bon curé venait de s’effondrer sans connaissance au beau milieu de la fête… Tout le monde s’est précipité… J’étais à proximité immédiate de la buvette… En un clin d’œil elle s’est trouvée désertée… Il ne m’a fallu que quelques secondes pour passer derrière le comptoir, plonger la main dans la caisse et y subtiliser une énorme liasse de billets… Et je suis allée m’apitoyer, avec les autres, sur le sort du pauvre curé…

 

 

Mes parents étaient scandalisés… - Si c’est pas malheureux !… Profiter d’une circonstance pareille !… Je faisais chorus avec eux… Mais, dans le secret de ma chambre, je comptais et recomptais les billets… La somme était considérable : pas loin de 10 000 francs… J’ai cru bon, pour soulager ma conscience, d’aller à l’église glisser pieusement une piécette dans le tronc de Saint-Antoine…

 

 

Six cents personnes et aucune n’avait rien vu !… Je me sentais invulnérable… C’est en toute impunité que je pouvais… que je pourrais toujours agir… Il  fallait bien qu’un jour pourtant quelqu’un finisse par s’apercevoir de quelque chose… Ce fut au lycée, en première, et ce fut Rita… Un camarade de classe arborait fièrement, depuis la rentrée, une calculette de prix - un véritable petit ordinateur - dont il ne cessait de nous vanter les performances… J’ai décidé de m’en emparer… Avant d’entrer à la cantine on entassait toujours, pour ne pas en être encombrés, sacs et cartables dans le petit hall d’entrée devant la loge de la concierge… Ils y restaient généralement jusqu’à la reprise des cours… C’est là que j’ai tranquillement opéré…

 

 

Rita m’a rattrapée le soir sur le trottoir… - Je t’ai vue tout à l’heure… Mais je dirai rien… De toute façon c’est un con Duteil !… On a marché un long moment silencieusement côte à côte… - Tu me la prêteras ?… - Quand tu voudras…

 

 

Et ce fut le début d’une stimulante collaboration secrète… Au lycée officiellement on ne se fréquentait pas… On ne se voyait pas… On se battait même plutôt froid… Mais, en réalité, on s’entendait comme larrons en foire… C’était toujours moi qui agissais… Son rôle à elle consistait à rester le plus possible dans l’ombre, à monopoliser le cas échéant l’attention ou à la détourner si cela s’avérait nécessaire… Et, le soir, chez elle ou chez moi, on se partageait très équitablement le butin…

 

 

Un faisceau de sérieuses présomptions commençait à peser sur moi… On ne m’accusait pas ouvertement, mais on me le faisait comprendre, on me le faisait sentir… Le jeu n’en devenait que plus intéressant… On n’avait pas de preuves… On n’en aurait jamais… A moi de me montrer la plus maligne… A moi de me montrer la plus forte… J’étais sûre que je l’étais… J’étais sûre que je continuerais à l’être… Toujours…

 

 

Dès la rentrée suivante - en Terminale - dès le troisième jour, j’ai été convoquée dans son bureau par le proviseur… Des vols avaient été commis à l’Internat… Je n’y étais rigoureusement pour rien… ce qu’il m’a été facile de prouver : j’avais un alibi en or… Le pauvre homme était terriblement désappointé : il s’était manifestement fait une fête de me mettre enfin la main au collet… Il ne s’est pourtant pas avoué vaincu… - Oui…Ce n’est pas toi… CETTE FOIS-CI… J’ai soutenu son regard… - Je n’ai jamais rien volé à personne… Il s’est levé, m’a raccompagnée à la porte… - Je te coincerai… Je te jure que je te coincerai…

 

 

  Il voulait jouer ?… On allait jouer… Je me savais désormais sous haute surveillance… Jusqu’à Noël je n’ai pas bougé… Pas le moindre petit larcin à mettre à mon actif… Et puis, à la rentrée de Janvier, j’ai pris des risques, mais j’ai frappé un grand coup : j’ai mis à profit la joyeuse pagaille provoquée par un exercice incendie - avec sirène, pompiers et courses folles dans les escaliers - pour me faufiler jusqu’aux dortoirs - où je n’avais strictement rien à faire - et pour « dévaliser » la chambre de la surveillante d’Internat… Le proviseur ne s’est pas donné le ridicule de m’accuser une nouvelle fois, sans la moindre preuve, de ce forfait, mais quand je l’ai croisé dans la cour, le lendemain, son regard parlait pour lui…

 

 

Mai… Je sortais de la cantine quand Madame Dumay - la prof de Maths - m’a interpellée… - S’il te plaît… s’il te plaît… Tu veux pas aller me porter ça dans mon casier ?… La salle des profs était déserte… Bien en évidence sur une table un sac béant… Sur le dessus un gros billet… 500 francs… Ca sentait le coup fourré à plein nez ce truc… La fenêtre était ouverte… Rita n’était jamais très loin… Je lui ai fait signe… Elle s’est approchée… Un jeu d’enfant… Elle l’a fourré dans sa poche, s’est rapidement éloignée…

 

 

Le proviseur était derrière la porte… Il a jeté un rapide coup d’œil au sac, par-dessus mon épaule, quand je l’ai ouverte… - Viens avec moi !… Dans son bureau… - Alors cette fois, ma petite, tu diras pas le contraire !… Il est où le billet ?… - Le billet ?… Quel billet ?… J’ai pas vu de billet… Il a soupiré, levé les yeux au ciel… - Tu ferais mieux d’avouer!… Parce que je n’ai pas l’intention de te faire de cadeau… Et les gendarmes, eux, ils sauront te faire parler… - J’ai pas peur des gendarmes… J’ai rien volé… - Et menteuse en plus !… - Fouillez-moi si vous me croyez pas !… - J’ai pas le droit… - J’en ai marre, moi, à force, qu’on m’accuse comme ça sans arrêt alors que j’ai rien fait… - Tu joues très bien la comédie… - Je joue rien du tout… Vous allez bien être obligé de le voir que je joue rien du tout puisque c’est comme ça… Et j’ai retiré ma robe… Je l’ai passée par-dessus la tête… Il a eu un geste pour m’arrêter, l’a suspendu…  Et le soutien-gorge… Et la culotte…Coup sur coup… - Là… Vous êtes content ?… Où je cache quelque chose ?… Où ?… Dans mes godasses ?… Je les ai quittées aussi… - Alors ?… - Rhabille-toi !… Rhabille-toi !… Je l’ai fait en oubliant délibérément la culotte par terre au pied de son bureau…Il ne l’a pas vue… Ou il a fait semblant…

 

 

Rita a éclaté de rire… - Il va peut-être te la rapporter demain en classe ?!… Et on a bu le billet, le soir même, à sa santé… 

Par François - Publié dans : regards.croises
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