Dimanche 6 juillet 7 06 /07 /Juil 20:36

Lundi 9 Janvier 2034

 

On ne s’y fait pas. On s’attend à les voir surgir à tout moment. Au café. Ou sur le campus. Ils vont nous sourire… «  – Ca va comme vous voulez, les filles ? » S’attabler avec nous. Et tout va reprendre comme avant. Ils ne viennent évidemment pas. On essaie de parler d’autre chose. De penser à autre chose. On ne peut pas. C’est toujours là. Ca occupe toute la place. Partout. Tout le temps. Plus rien d’autre ne compte. Plus rien d’autre n’a d’importance. Il se dit tout. Et le contraire de tout. On prétend que l’épidémie serait partie de Suède où un savant fou aurait sciemment contaminé les réserves d’eau potable pour se venger de son chef de service. Une rumeur persistante en impute au contraire la responsabilité à un groupe de femmes « Les Walkyries sanglantes » qui se serait juré de libérer la planète de toute présence masculine. D’autres y voient la main d’extra-terrestres qui, dans l’intention avouée d’améliorer l’espèce humaine, se débarrasseraient de concurrents gênants et inutiles avant de venir eux-mêmes féconder les terriennes. Celles qui affirment les avoir vus – de leurs yeux vus – assurent qu’ils sont merveilleusement beaux, supérieurement intelligents et extraordinairement séduisants. Ben voyons !… Il se dit aussi que le virus est en pleine mutation – ce qu’on nous cacherait soigneusement – et que, dans les semaines qui viennent, ce sont les femmes qu’il va à leur tout frapper. Personne ne sait rien, mais tout le monde parle.

 

Le gouvernement, lui, agit : tous les individus de sexe masculin vivants sont invités à se faire connaître, dans les plus brefs délais, par téléphone, aux autorités compétentes. Ils seront immédiatement soumis, à leur domicile, à un test de dépistage désormais disponible. Et fiable. Les hommes contaminés seront hospitalisés dans des strutures spéciales. Quant aux autres, les « intacts », ils seront transportés en ambulances stériles et regroupés dans des centres où ils seront coupés de tout contact avec l’extérieur. Dans, à l’évidence, leur intérêt. Comme quoi les survivants ne doivent vraiment pas être nombreux. Sinon une telle opération serait techniquement impossible.

 

 

 

 

Mercredi 11  Janvier 2034

 

On passe beaucoup de temps au café. On a besoin les unes des autres. Pour se rassurer. Pour pouvoir évoquer encore et encore la vie d’avant. Ce n’est pas forcément ce qu’on fait de mieux. Parce qu’on s’entretient mutuellement dans la tristesse et la nostalgie. Parce que, quand on envisage l’avenir, c’est toujours systématiquement sous les couleurs les plus sombres. On ne rit plus. On ne plaisante plus. On sèche pratiquement tous les cours.

 

On a changé. On a toutes profondément changé. Iliona, toujours si pimpante avant, se néglige. Elle ne se maquille plus, ne se coiffe plus, ne prête plus la moindre attention à ses vêtements. – A quoi bon maintenant ?… - Mais tu disais que c’était pas pour le regard des autres que tu te faisais belle, que c’était pour toi … - Oui, oh, ce qu’on dit… Xadine s’est  tournée vers la religion. Elle passe ses soirées à étudier les enseignements d’un mystique slovène qui, paraît-il, avait très exactement prédit, il y a plus de vingt ans, ce qui se passe aujourd’hui… - Dans les moindres détails, vous verriez ça, c’est hallucinant… Zanella, elle, donne dans le cynisme… - Il y a plus de mecs ? Et alors ? Qu’est-ce qu’on en a à foutre ? Pour ce qu’ils sont intéressants ! Non, le vrai problème c’est qu’il y a plus la moindre bite à l’horizon pour aller s’asseoir dessus…

 

Heureusement j’ai Monelle. Monelle, c’est mon amie. Depuis la maternelle. Autant dire depuis toujours. On partage tout. On se confie tout. Transparentes l’une à l’autre. Même quand nos routes ont divergé – elle n’avait pas spécialement de goût pour les études – on est restées main dans la main. A rêver ensemble tout haut. On est tombées amoureuses à quelques jours de distance. Ca nous a rapprochées un peu plus encore. On était heureuses. Chacune de son bonheur. Et de celui de l’autre. Elle l’a moins été : Noë n’était pas celui qu’elle avait toujours espéré. Elle ne l’a plus été. Plus du tout. Quand tout ça a commencé elle avait rompu depuis plusieurs semaines. Moi non. Parfois je l’envie…

 

 

 

Vendredi 13 Janvier 2034

 

Je passe le plus clair de mes journées à appréhender le soir quand je vais me retrouver désespérément seule dans notre grande maison. J’y trébuche sur des souvenirs partout. Je m’interdis d’entrer dans la chambre de mes frères, dans celle de mon père. Ils sont là quand même. Dans le séjour. Dans la cuisine. Sur la terrasse. Nos années y sont enchevêtrées les unes aux autres. J’entends leurs voix. J’entends leurs rires. Ils sont là. Silien va pousser la porte, se jeter sur moi, m’entraîner jusqu’au canapé et me chatouiller sous la plante des pieds… - Arrête !… Non, arrête !… Pouce !… Je joue plus… Ils vont rentrer. Ils vont tous rentrer, me prendre dans leurs bras… - C’était un mauvais rêve. Un cauchemar. Réveille-toi !…

 

Ce n’est pas un rêve. Je claque la porte. Je m’enfuis. Dans les rues. Au hasard. Tout essaie d’y être normal. Il y a des lumières. Des voitures. Des femmes vont et viennent sur les trottoirs, traversent . Des femmes. Que des femmes. Pas d’homme. Jamais. Dans les cafés non plus. J’y passe une heure . Quelquefois deux. Je rentre. Le plus lentement possible.

 

C’est quand je suis enfin couchée que Kerwan me rejoint. Je me blottis contre lui. Kerwan !… On allait prendre un appartement ensemble en septembre. Encore deux ans et il aurait fini ses études de médecine. On avait tant de projets pour après. Il n’y aura jamais d’après.

Publié dans : 2034
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